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Séminaire "Littérature générale et comparée 2"

  • ECTS

    5 crédits

  • Composante

    UFR Lettres, Art, Cinéma

  • Volume horaire

    24h

  • Période de l'année

    Semestre 2

Description

« Apesanteur et gravité dans la poésie et les arts »

Malgré les démonstrations des physiciens et des acousticiens, malgré les progrès techniques de l’aéronautique, on n’en finit pas de tomber, dans la poésie et dans les arts. On n’en finit pas d’être attiré vers le bas et le grave, mais tout autant de rêver d’ailes, de sauts, de suspension et de lévitation. Ainsi les photomontages de Sauts dans le vide d’Yves Klein, les corps en suspens de Bill Viola, Vertikal et Zéphyr, les deux derniers spectacles de danse aérienne Mourad Merzouki, ou encore les recueils de poètes contemporains ou moins, Celui qui tombe a des ailes d’Ingeborg Bachmann, The Bridge d’Hart Crane, De l’air d’Antoine Emaz, pour ne citer que ces exemples.

Pourquoi cette fascination pour la gravité s’exerce-t-elle avec cette vitalité qui insiste et se renouvelle, bien au-delà de la fable icarienne qui a marqué de son tropisme et son binarisme moral tout l’imaginaire poétique et iconographique occidental depuis l’Antiquité? Est-ce pour une raison psychanalytique, qu’elle soit d’ordre anthropologique (comme le postule Bachelard à travers les complexes dynamiques déployés dans L’Air et les songes et La Terre et les rêveries de la volonté), d’ordre érotique (comme le suggère l’importance qu’accorde Freud aux rêves de chute) ou mélancolique (pointé par les analyses de Kristeva ou Starobinski sur ce qui pèse, penche, pend et pense)? L’explication est-elle plutôt spirituelle, comme invite à le penser Simone Weil, ou bien phénoménologique, si l’on reconnaît avec Husserl que les poètes et les artistes ne peuvent se départir d’une conception pré-galiléenne de la terre et de la chute des corps graves, quelle que soit l’avancée des sciences et des techniques modernes, jusqu’aux développements les plus récents de la gravité quantique et de l’aérospatiale? A moins qu’il faille situer la question sur un terrain surtout politique, historique et écologique, tant nous sommes aujourd’hui pris dans un précipité de chutes ? Plus l’heure est grave, et peut-être l’est-elle aujourd’hui plus que jamais, plus les poètes et les artistes semblent en effet éprouver le besoin de dire et montrer le tragique de la chute (Velickovic), ou au contraire de défier les lois de la gravité, en rêvant de vols paraboliques (Kitsou Dubois), de chutes, glissades et cascades burlesques (Keaton), ou en s’arrachant momentanément à la pesanteur par « la grâce de la temporalité enchantée » de la musique qui délasse les fronts ridés de souci (Jankélévitch). Il ne s’agirait pas, par l’art et l’humour, d’oublier la gravité, mais de respirer un instant, et peut-être de déjouer l’esprit de sérieux, les dérives kitsch du pathos et les lourdeurs des discours apocalyptiques qui asphyxient.

Ces différentes hypothèses méritent l’attention, et indiquent que la gravité est autant une question de mouvement que de ton. Nous en explorerons la fonction critique et les ambivalences, les manifestations esthétiques, mais nous serons surtout attentifs aux façons dont la poésie et les arts cherchent, non pas à se libérer de la pesanteur et à rester coûte que coûte dans les airs comme le trapéziste de Kafka, mais plutôt à composer avec elle. C’est-à-dire à utiliser la gravité, les appuis et la résistance de l’air, les contrastes d’accent, de vitesse et de ton, pour parvenir à peser et à supporter ce qui pèse. Car toute chute n’est pas forcément un écrasement, et ce qui nous pèse sans nous écraser est aussi ce qui nous fait tenir debout. La danse, la musique et la poésie entrent à cet égard en dialogue et aident à penser, que l’on songe au chorégraphe Ohad Naharim pour qui danser c’est apprendre à tomber, à l’importance accordée au poids précis des doigts qui « tombent sur les touches » dans l’Art de toucher le clavecin de Couperin, ou à Seamus Heaney pour qui, « dans un poème, le poids du monde n’est pas abandonné ou éludé », mais « mis en mouvement, et une fois qu’il est en mouvement, il paraît plus léger et plus maniable. »

Pour donner voix et corps à ces questions, nous prévoyons d’inviter le compositeur et musicologue Yves Balmer, le poète Marc Blanchet et la danseuse et chorégraphe Anne-Sophie Lancelin.

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Heures d'enseignement

  • Séminaire "Littérature générale et comparée 2"Cours Magistral24h

Syllabus

Orientations bibliographiques :
Les textes littéraires et les œuvres artistiques étudiées seront donnés au fil des séances.
Pour les réflexions théoriques et philosophiques, on s’appuiera notamment sur

Gaston Bachelard, L’Air et les songes. Essai sur le mouvement [1943], Le Livre de poche, 2015 ; La Terre et les rêveries de la volonté [1947], Corti, 2016.

Catherine Coquio, « L’humour ou la gravité : l’animal, mythe épistémologique et attitude littéraire », in La Question animale. Entre sciences, littérature et philosophie (dir. G. Chapouthier), PUR, 2011.

Michèle Dancourt, Dédale et Icare. Métamorphoses d’un mythe, CNRS éditeur, 2002.

Georges Didi-Huberman, Gestes d’air et de pierre, Minuit, 2005 ; Le danseur des solitudes, Minuit, 2006; Sur le fil, Minuit, 2013.

Marie Dujet-Pujol, « Pour un (extra)ordinaire art de choir », L’Annuaire théâtral (numéro 63-64 : « Gestes ordinaires dans les arts du spectacle vivant»), 2018.

Sigmund Freud, L’Interprétation du rêve [1901], PUF, 2012 ; « L’humour », L’inquiétante étrangeté et autres textes (trad. B. Fréron), Gallimard, 1985.

Edmund Husserl, La Terre ne se meut pas (trad. D . Franck), Minuit, 1989.

Vladimir Jankélévitch, Quelque part dans l’inachevé, Nrf Gallimard, 1978.

Etienne Jollet, Figures de la pesanteur. Fragonard, Newton et les plaisirs de l’escarpolette, Editions Jacqueline Chambon, 1998.

Julia Kristeva, Soleil noir. Dépression et mélancolie, Folio Essais, 1989.

Marianne Massin, Les figures du ravissement. Enjeux philosophiques et esthétiques, Grasset, 2001.

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (trad. G-A. Goldschmidt), Le Livre de poche, 2008.

Jean Starobinski, La Mélancolie au miroir, Juliard, 1989

Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce, Plon, 1947.

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