Encres sorcières – XIXe siècle

Figure archétypale des contes et de la littérature orale, la sorcière fait un retour remarqué dans la littérature du XIXe siècle. L’imaginaire gothique s’en empare avant qu’elle ne soit introduite dans le roman historique ou dans le théâtre, ainsi que dans le roman champêtre ou régional. Si la pensée scientifique et rationaliste du XIXe siècle accentue la dépréciation des croyances et superstitions populaires et envisage la sorcellerie comme une aberration, en revanche les sciences humaines naissantes s’intéressent à ces vestiges de mentalités et de pratiques archaïques, où elles voient un mode de pensée autre, avec lequel la modernité a sans doute tort de vouloir rompre complètement. L’histoire des sorcières est aussi une histoire des femmes et de leur aliénation, qui se perpétue en parallèle et en opposition à l’émancipation des hommes. Jules Michelet adoptera dans La Sorcière (1862) un regard tout à la fois anthropologique, historique et politique sur le phénomène de la sorcellerie qu’il voit apparaître puis se transformer du Moyen Âge à la fin du XVIIIe siècle. Comme l’a montré Yves Vadé (L’Enchantement littéraire, Gallimard, 1990), écrire sur la sorcellerie est aussi une façon de revendiquer pour le verbe littéraire lui-même le pouvoir performatif et subversif que se prête la parole magique. Les œuvres qui seront étudiées sont fréquemment écrites d’une encre sorcière, qui cherche à conférer au style et à la langue une emprise sur le lecteur, une puissance d’estrangement et de dessillement. Les sorcières du XIXe siècle nous conduiront à lire des textes de Victor Hugo, de Michelet, de Barbey d’Aurevilly, de George Sand, et d’autres encore, dans la perspective d’une recherche collective portant aussi sur des œuvres mineures ou méconnues (par exemple Le Magicien, d’Alphonse Esquiros) ainsi que sur l’iconographie.